La route de Kuelap
Kuelap, en termes d’arguments marketing, c’est le Machu Picchu des bobos: sans touristes, mais sans Machu Picchu. « C’est un peu moins spectaculaire, mais vous verrez, il n’y a personne. »
Et pour cause: il n’est proche d’aucun autre grand site, il est bien loin du circuit du gringo (Lima, Ica, Huacachina, Nazca, Arequipa, lac Titicaca, Machu Picchu, Cuzco), et moi j’y suis parce qu’étant parti dans le Nord dans une réserve amazonienne moins touristique j’aime autant voir d’autres sites dans le coin.
Kuelap est perdu quelque part dans le Nord du Pérou. La ville la plus proche, c’est Chachapoyas, du nom de l’ancien empire local. 1h à vol d’oiseau, 3h par la route, une petite route tortueuse qui serpente à flanc de montagne et fait des détours insensés. Et Chachapoyas… c’est pas la ville la plus accessible du monde; à 7h à l’Ouest de l’aéroport de Tarapoto (dont je reviens), 9h à l’Est de celui de Chiclayo (où j’irai le soir même en bus de nuit), et 12h de celui de Cajamarca. Cajamarca, c’est là qu’en 1532, pour la petite histoire Pizarro, a attiré dans un piège le dernier empereur inca, Atahualpa, et l’a assassiné – où comment vaincre une armée de 30 000 soldats avec 200 hommes et un peu de fourberie.
Kuelap est bien au milieu de nulle part. Je vais mener l’enquête.
Et donc pour y arriver… Quitter la forêt amazonienne se mérite… Après cinq jours de pirogue dans la jungle, ma première nuit de retour dans une vraie chambre avec douche est brève: lever à 4h15 du matin; dans une obscurité totale je fais mon sac à la lueur blafarde du téléphone. Un moto-taxi m’attend à 4h30 et me dépose au port de Lagunas.
A 5h et des poussières (péruviennes), la lancha « rapide » démarre pour les 6h de trajet entre Lagunas et Yurimaguas.A midi je repasse prendre les affaires que j’ai laissées à mon hôtel de Yurimaguas. Je vais à la station de taxis collectifs. A midi trente, j’ai de la chance, et mon taxi collectif est rempli; il part pour Tarapoto. Ce sont 2h30 d’une route tortueuse, par endroits en travaux, à flanc de montagnes recouvertes de forêts denses. Arrivé à Tarapoto je retrouve la chaleur dense, intense, étouffante qui m’avait submergé à ma descente d’avion. Le soleil tape dur et l’ombre est rare.
A 15h30, je monte dans un bus pour Pedro Ruiz, une ville carrefour. Sept ou huit heures plus tard le bus m’y dépose (avant de continuer sa route jusqu’à Chiclayo sur la côte), après une petite crevaison nocturne qui permet de prendre l’air.
Il est onze heures du soir. La ville est morte. Seul un combi attend sur le carrefour. Après une heure de course folle, il me lâche devant une auberge de jeunesse qu’on m’a recommandée (Chachapoyas backpackers). Il est minuit passé.
Je sonne, et quelqu’un vient ouvrir. Ils ont de la place. Le temps de jeter un oeil à la pléiade de mails reçus, et à 1h du matin je me couche.
Il fait froid. C’est un changement délicieux.
***
Alors Kuelap, un Machu Picchu sans touristes?
Ici on est en territoire Chachapoyas, le « peuple des nuages ». Et effectivement les sommets des montagnes se cachent. Les Chachapoyas sont plus ou moins contemporains des Incas, contre qui ils ont guerroyé. Pizarro s’en est même fait des alliés avant de les lâcher (ils disparaissent donc au XVIe siècle).
De leur civilisation on sait peu de choses: ils ne connaissaient pas l’écriture et on n’a pas retrouvé de poteries, fresques… A peine quelques reliefs sculptés, des tombes, et bien sûr Kuelap, le « Machu Picchu du Nord ».
Ayant peu de temps et ic ne craignant pas trop les touristes, une fois n’est pas coutume je prend un tour organisé, via mon auberge (Chachapoyas backpackers). Vers midi nous sommes au pied du site.
3000 mètres d’altitude. 1200 mètres au-dessus des vallée qui l’entourent. Partout à l’horizon, de longues chaînes de montagnes qui disparaissent dans les nuages. C’est l’endroit que les Chachapoyas ont choisi pour bâtir une forteresse de pierre.
Quoique… Rien de commun avec nos forteresses… C’est plutôt d’une ville fortifiée qu’il sagit: une plateforme de pierre d’une quinzaine de mètres de haut, sur 700 mètres de long et 100 mètres de large.
On y accède par d’étroites portes qui donnent sur un escalier pentu.
Sur la plateforme il y a la ville elle-même : il en reste les murs des maisons rondes – les toits étaient en bois – et quelques bâtiments énigmatiques datant du Xe siècle, où les archéologues ont retrouvé outils et ossements. Le coin Nord de la plateforme est surélevé pour distinguer une « ville haute ».
Les maisons sont d’une taille assez uniforme: des cercles de 4 mètres de diamètre, une partie surélevée, parfois une petite fosse pour y élever les cochons d’inde, parfois un caveau circulaire profond d’un mètre pour enterrer les ancêtres. Selon le guide, la forme circulaire se réfère au dieu solaire qu’ils vénéraient; nous nous demandons si ce n’est pas simplement pour mieux résister aux séismes.
Peu de décorations (parfois des tuiles disposées en losange), l’architecture est minimaliste.
Contrairement au Machu Picchu, qui est entouré de sommets bien plus hauts, Kuelap domine la région. Cela explique, d’ailleurs, les postes de guet aux deux extrémités de la plateforme, qui ont été réutilisés par les Espagnols après leur conquête de la région. On ne sait donc pas si l’eau était montée par lama depuis la vallée, où bien – ce qui semblerait plus crédible – recueillie des pluies fréquentes par quelque réservoir. Les marques de sabot des lamas sur les escaliers de pierre sont cependant visible, et attestent qu’ils servaient à monter à la cité ce dont elle avait besoin.
Devant tant de points inconnus – et plusieurs monuments restent à fouiller – c’est la magie du site qui s’imprime dans la mémoire: cette plateforme colosséenne, aussi absurde dans ses dimensions et son positionnement que la grande muraille de Chine ou les pyramides d’Egypte, occupée par des dizaines de maisons circulaires serrées les unes contre les autres, et où de grands et magnifiques arbres ont poussé comme sur le Domaine des dieux d’Astérix.
Avec le recul du Machu Picchu (que je visite une semaine plus tard), j’apprécie vraiment Kuelap: certes moins évidemment photogénique (pas de pain de sucre…), un peu moins bien conservé, mais avec des atouts qui compensent largement: un panorama tout aussi spectaculaire (et qui n’a pas été pris en photo par tous vos potes), un accès paradoxalement plus facile qu’au Machu Picchu (on n’est pas obligé de faire six heures de bus tortueux et de se lever à 4h30 du matin…), des tarifs honnêtes (35 soles contre 150), un site tranquille (50 touristes par jour au lieu de 2500) et cette plateforme aux dimensions titanesques, encore plus impressionnante que les « petites » ruines du Machu Picchu.
Infos pratiques
Il faut dormir à Chachapoyas; j’ai été très satisfait du Chachapoyas Backpackers, non loin de la Plaza de Armas. Il est possible de faire la visite en autonomie, mais cela ne coûte pas moins cher de prendre un tour organisé, comme celui de Chachapoyas Backpackers (de mémoire 35 soles): départ vers 9h, 3h de route, 2h sur le site, déjeuner non inclus, retour à Chachapoyas. Les groupes organisés sont sur le site grosso modo entre midi et 14h (nous étions une trentaine de touristes).
Y aller par ses propres moyens doit permettre de profiter du site totalement seul (avant midi ou après 14h), et en étant discret de camper sur place (le panorama est incroyable). Une alternative est de dormir au petit village de Maria (voir sur la carte): il y a quelques auberges et restaurants qui ont l’air sympathique.
L’accès par route exige de faire un long détour: on suit d’abord la vallée pendant 1h de route vers le Sud jusqu’à Tingo, puis il faut faire un détour d’environ 2h pour accéder à Kuelap. Un chemin permet de couper entre Tingo et Kuelap (téléphérique en construction…). Dans le plan qui suit, la route est marquée en rouge et les chemins en gris.
Je conseillerais de le faire uniquement en descendant (comme nous l’avons fait): il fait environ 1000m de dénivelée assez raide (donc ça peut être pénible en montée); nous avons mis 2h pour descendre et rejoindre Tingo depuis Kuelap.
Nous nous sommes arrangés avec le minibus du tour organisé pour qu’il nous reprenne à Tingo (en raison du long détour, le groupe a également mis 2h pour déjeuner et redescendre par la route). Que demander de plus?
Il est sympa, ton article sur Kuelap. C’est vrai que c’est très différent par rapport au Machu Picchu. Tu as dû y passer maintenant, au Machu Picchu. En comparaison, tu diras quoi ?
Les deux endroits sont vraiment différents: Kuelap est dans une très belle nature de collines ou de petites montagnes, dans une zone épargnée par le tourisme de masse et le site dégage vraiment une belle atmosphère; le Machu Picchu c’est une autre échelle: le paysage est vertigineux, les ruines sont totalement improbables (on se demande comment on peut avoir l’idée de construire dans un endroit si peu pratique…), et l’afflux touristique est à la mesure de la beauté du lieu. Je suis heureux d’avoir pu profiter des deux: j’aurais sans doute été déçu en voyant Kuelap en second, mais ayant placé le Machu Picchu à la fin de mon voyage et m’étant préparé aux foules, voir l’un puis l’autre m’a permis de les apprécier tous les deux. Tu y es également allée?
Oui, j’ai vu le Machu Picchu pour la première fois il ya 3 semaines !! C’est vrai que c’est quand même quelque chose. Tu es là-haut, tu prends la photo là où tout le monde le fait et tu regardes le spectacle. On était allé tôt, du coup au début il n’y avait pas autant de monde.
Mais c’est vrai que j’ai un pincement pour Kuelap, tout simplement parce que j’habite là-bas maintenant. En tout cas, ton article m’a fait très plaisir.