Alors que le « caliphat » marche sur Bagdad et force les États-Unis à agir pour protéger le Kurdistan irakien, rien ne semble venir troubler la paix de l’autre côté de la frontière – une quarantaine de kilomètres de montagnes arides.

Qui peut vivre sur cette chaîne de montagnes abruptes, aux pentes de roc et de sable, aux pistes vertigineuses serpentant sans répit, écrasées par un soleil de plomb?

La traversée du Kurdistan

Dans le taxi qui me conduit de Paveh à la vallée de Howraman je suis transporté dans les Cavaliers de Kessel: cette remontée héroïque des montagnes afghane depuis Kaboul jusqu’aux terres mongoles de l’Hindu Kuch. Terres désertiques, précipices béants, brûlure du soleil, et soudain au tournant d’une épingle à cheveux quelques toiles tendues: un peu d’ombre, un samovar de thé fumant, des brochettes. Pause dans le jeu de la vie.

Pareillement arides, les plaines irakiennes commencent en contrebas et s’étendent à perte de vue. Mon chauffeur conduit comme un forcené, comme si sa vie en dépendait. Il prend ses virages à la limite du dérapage, croise les voitures opposées en frôlant la montagne ou le précipice, lâche son volant pour s’allumer un cigarette; je me cramponne à la portière.

En trois heures, à vol d’oiseau nous avons parcouru 25 kilomètres. Mon chauffeur tend le bras vers une vallée: « Howraman ». Il ajoute quelque chose comme: « inja mituni aks begiri » (« ici tu peux prendre des photos) – en direction de l’Iran c’était interdit. Effectivement le fond de la vallée est vert et au loin les toits d’un village scintillent à flanc de montagne.

La vallée de Howraman

Il me largue devant un hôtel – le seul du village, mais je suis déjà surpris d’en trouver un. La veille au soir je dégustais un fereni au miel sur l’une des plus belles places du monde, à Ispahan, nesf-e jahan, « moitié du monde », animée des pique-niqueurs du soir; après 11 heures de bus de nuit et trois taxis de ville en ville, je me retrouve dans l’autre « moitié du monde », en bord de route, écrasé entre deux montagnes, dans l’escarpement d’un village kurde. Il est une heure, zéro traffic. Je m’enregistre à l’hôtel.

La pente de la montagne est telle que le toit des maisons sert de ruelle ou de terrasse aux maisons d’au-dessus, dans un empilement de degrés anarchiques. Au long des invasions qui ont frappé le peuple kurde la vallée d’Howraman (ou d’Orumanat) est restée impénétrable, protégée par son relief.

Quand le soleil baisse à l’horizon je parcours le village et je grimpe sur les montagnes qui le surplombent. Les vallées vertes et les pentes arides forment des jeux d’ombres dramatiques dans la lumière cuivrée du couchant. Les cimes pointues semblent plus humaines, l’air est plus doux, l’épreuve du jour brûlant a pris fin.

Les femmes sortent de l’ombre des maisons. Les vieillards en tunique, large ceinture d’étoffe et coiffe nouée devisent assis sur les murets. Les gamins jouent au foot. La tension du jour s’apaise.
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