Pendant une année ces tours ont été le théâtre de mes petites joies et peines, un théâtre involontaire et qui s’en fout, un grand bazar dont personne n’a l’inventaire et où je fourrageais avec, selon les jours, émerveillement ou déception.
Chacun y cherche son trésor en fait, comme une bande de gosses qui se déguisent avec les costumes des aïeux mangés aux mites; on fait son champ de bataille d’une pile de cartonnages; on troque une gourmette trouvée là contre un vieux ressort d’horloge. On invente un ordre à ce foutoir dans lequel on se trouve vivre, on s’y attache, on donne des noms d’amour ou d’affection aux choses, aux personnes et aux lieux.
A cette gargote à crêpes dans une courette entre les tours, à son vélo grincheux, à toutes les bizarreries d’une vie transplantée là.
Et il suffit que l’on absente pour qu’une couche de sédiments – l’action des autres – se dépose sur les noms que nous avions donnés.
En deux ans Pékin a encore poussé, comme un adolescent. Et la trace matérielle de mes souvenirs a été recouverte par ces sédiments, un peu comme leur empreinte dans ma mémoire, ambrée par le temps.