Elle donne naissance à six singes sans queue, qui forment six tribus. C’est le début du Tibet. L’histoire ne dit pas comment cette working mum a réussi à élever seule six garçons pendant que le père s’envoyait au ciel.
Pour certains, c’est juste un singe et une ogresse; pas de bodhisattva là-dedans, les bouddhistes l’ont rajouté ultérieurement. Pour d’autres, il est clair que c’est l’ogresse qui a forcé le singe à passer à l’acte: les femmes sont coupables de tout. Et pour le 5è Dalai-Lama, l’ogresse est l’incarnation de Tara, la « mère de la libération »; son physique est laid mais son âme est pure, le négatif de Dorian Gray en somme.
Enfin, pour ceux qui aiment les faits, le peuplement du haut plateau Tibétain est attesté dès le paléolithique supérieur, à la faveur du réchauffement climatique (cela rassurera-t-il Nicolas Hulot et consorts?), mais les données archéologiques sont très fragmentaires: pierres polies, poteries, tombes mégalithiques.
On ne sait pas grand-chose sur le Tibet proto-historique: s’il est vrai que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, les souverains tibétains d’il y mille ans n’ont pas eu plus de scrupules pour la récrire que n’en ont les actuels souverains du Tibet – souverain spirituel ou souverain temporel.
Avant le bouddhisme: la religion bön
En quoi croient les Tibétains avant que le bouddhisme ne se répande? C’est assez mal connu. Le bön (prononcer beun, en Chinois 本教 ben-tsiao, littéralement fondamentale-croyance) est le premier système religieux tibétain connu. Il est probable qu’il ait joué un rôle important dans les débuts de l’unification tibétaine.
Le bön est essentiellement manichéen, chamanique et animiste. Manichéen: le monde est en proie à une lutte entre dieux et démons, il convient de se concilier les premiers pour affronter les seconds. Chamanique: la transe y joue un rôle important. Animiste: les innombrables équivalents de Toutatis et de Belenos peuplent les lieux et les objets, qui tantôt mettent en colère et tantôt vous protègent. Ils se répartissent en divinités célestes, chthoniennes et de l’entre-deux.
Si des chroniques attestent le passage au Tibet de religieux bouddhistes venus de Khotan (sur la route de la soie), le bouddhisme ne se répand véritablement qu’à compter du VIIè siècle, sous le règne de Songtsen Gampo. Comme on s’y attend, il reprend aux croyances bön des lieux sacrés et des techniques spirituelles.
Songtsen Gampo, l’empereur qui (peut-être) inspira Al Capone
En 629, Songtsen Gampo a treize ans, quand des révoltes seigneuriales envoient son père ad patres et l’assoient sur le trône d’un Tibet en proie au trouble. Il laisse tomber sa Nitendo DS et commence par mater les révoltes et mettre à mort les seigneurs responsables.
Puis, il prend une carte du Tibet (sans doute mieux dessinée que celle-ci…) et il réfléchit un peu aux moyens de consolider son empire.
Le Tibet est encadré d’immenses montagnes (en noir sur le schéma)qui le séparent: au Sud, du Népal; à l’Est, de la Chine; à l’Ouest, des Turcs; et au Nord, de grands déserts puis des Turcs – et accessoirement de la Route de la Soie.
Songtsen Gampo prend ce qu’il peut prendre et s’assure du reste. Au Sud, alliance: il épouse la princesse népalaise Bhrikouti Devi. Au Nord, il fait son Alexandre le Grand et conquiert sans répit, jusqu’au Kokonor.
A l’Est, c’est plus dur: la puissante Chine des Tang est tout juste victorieuse des Turcs. Il faut cette fois-ci à Songtsen Gampo deux ambassades pour obtenir la main d’une princesse chinoise. La première fois, on lui rit au nez. Entre temps, il lance ses armées à l’Est contre les garnisons chinoises et les repousse au-delà de Songpan (dans le centre de l’actuel Sichuan). La seconde ambassade, du coup, a plus de succès, et la princesse Wencheng (文成) part pour le Tibet.
Comme le dit Al Capone, « on obtient plus en demandant poliment avec un pistolet à la main qu’en demandant juste poliment ».
Les fondamentaux de l’Empire tibétain
Songtsen Gampo organise son empire en instituant:
- une armée solidement hiérarchisée, répartie en soixante-et-une régions militaire et trois grands commandements militaires stationnés aux points stratégiques du Sud-Est, du Nord-Ouest et du Nord-Est.
- un système de gouvernement dyarchique: il gère les affaires d’Etat aux côtés de son puissant Premier ministre Gar Tongtsen; d’autres ministres les assistent. Le souverain s’appuie sur une hiérarchie féodale stricte. Il semble que l’écriture tibétaine se soit développée vers cette époque et ait donc facilité le développement d’une administration efficace.
- un code de justice fondé sur le « prix de l’homme »: celui qui est reconnu coupable d’un crime devra le repayer neuf fois. S’ajoutent à cela des lois issues du bouddhisme indien, qui condamnent (tuer, voler, calomnier…) ou dirigent (vénérer le Bouddha, honorer ses parents…) la conduite des hommes.
Les fondamentaux de l’Empire tibétains sont là et vont perdurer pendant plus de mille ans. Ils s’enrichissent du raffinement chinois que la princesse Wencheng a apporté dans sa valise: la porcelaine, la soie, l’encre, le papier et les connaissances de la médecine chinoise font leur entrée au Tibet.
Le Tibet doit également aux deux princesses, la népalaise et la chinoise, une importante contribution à la diffusion du bouddhisme: la première fait construire le temple de Jokhang et la seconde celui de Ramoché (qui, contrairement à son nom, était très beau à l’origine).
Songtsen Gampo, à sa mort en 650, est enterré dans la vallée de Tchongyé, avec armes et chevaux, or et serviteurs. Il laisse à son petit-fils un empire en pleine expansion et un Premier ministre devant qui tout se plie.