La jeune femme, jolie, vingt sur vingt, dit qu’elle préfère « pleurer dans une BMW plutôt que de rire sur un vélo ». Depuis, l’internet chinois ne parle que de ça. Et de l’équipe de France, mais bon, on n’insiste pas.
Essayons de comprendre un peu.
Hypothèse 1: la hausse du prix de l’essence l’effraie, mais elle pense que ce n’est que temporaire. Elle préfère donc pleurer aujourd’hui dans sa BMW (non-hybride, précisons-le) pour rire demain, plutôt que de dérailler toute sa vie.
Hypothèse 2: elle voulait un vélo, son mec veut une BM; et elle l’aime (le mec).
Hypothèse 3: elle fait du stop, elle pleure, il pleut.
Hypothèse 4: rire à vélo déstabilise le vélo, alors que la BM a des distributeurs automatiques intégrés de mouchoirs parfumés au réséda.
Mais écoutons un instant ce qui se dit sur la toile.
La blogosphère chinoise (par exemple ici) épingle les 《拜钱女》(femmes qui vénèrent l’argent), puis montre de la compréhension à leur égard: si elles se comportent de manière ouvertement matérialiste, c’est par crainte de l’avenir. Dans un système politique sans assurance vieillesse, chômage ou maladie, la BMW est gage de Sécu et d’ASSEDIC.
Plusieurs points me semblent remarquables dans cette réaction. Tout d’abord, la critique du matérialisme. En France, si quelqu’un dit que « l’argent ne fait pas le bonheur » (ce qui est bien vrai), on va à coup sûr lui rétorquer avec notre sens critique habituel « qu’il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade » (ce qui est bien vrai). En Chine, cette critique à l’encontre d’une femme qui court après la richesse sonne comme une réserve vis-à-vis d’un régime qui met en oeuvre le slogan lancé il y a vingt ans par Deng Xiaoping: « Enrichissez-vous! »
Mais la réaction est plus fine: elle condamne moins la jeune femme, qu’elle ne propose un diagnostic du système. Si nous sommes portés au matérialisme, c’est que l’incertitude de l’avenir nous y pousse. Nous manquons de sécurité, nous la cherchons dans la richesse. Cela sonne comme un plaidoyer en faveur d’une Chine plus sociale, plus redistributive, plus égalitaire en somme, alors que du sentiment général l’écart entre riches et pauvres ne cesse de s’accroître. Mais sans jamais le formuler explicitement.
La rolls des tongs
Pour nous, la Rolls est du luxe, les tongs sont du plaisir et de la détente; notre Etat providence nous permet de taxer celui qui pleure en Rolls, et de rire en tongs sur une plage de sable blanc tout en sachant que la Sécu sera au rendez-vous pour soigner notre cancer de la peau. En Chine, un mec en tongs peut se retrouver le lendemain sur le pavé et sous la pluie, et ses tongs ne le protègeront pas des éclaboussures des Rolls qui passent.
Alors je rêve qu’un jour propriétaires de Rolls et propriétaires de tongs s’asseoiront en paix à la table de la fraternité.
Je rêve qu’un jour un coup de tong mesquin sur la carosserie rutilante répondra aux éclaboussures des jantes étincelantes sur les lanières de corde.
Je rêve qu’un jour mes quatre petits enfants (ah bon?) vivront dans un monde où il ne seront pas jugés par leur moyen de locomotion, mais par leur caractère.
Et pour mettre tout le monde d’accord, je laisse le mot de la fin à Woody: « Money is better than poverty, if only for financial reason » (« il vaut mieux être riche que pauvre, ne serait-ce que pour des raisons financières »).
– Sur ce, je prends les clés de ma Rolls et je cours m’acheter des tongs. Faut pas pousser la mémé dans les orties.
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