Départ à 8h pour la dernière journée de ma traversée du Guizhou et du Guangxi. Le village de Ping’an dort encore. Pour rejoindre Dazhai, à travers collines et rizières, le Lonely Planet (holy planet !) indique cinq à six heures de marche, l’hôtelier me dit quatre, mes amis (qui ont fait cette randonnée le jour d’avant, donc la montagne n’a pas dû beaucoup changer) cinq heures sans sacs.
Je pars la queue qui frétille. La brume de la veille s’est dissipée, la bruine a cessé, et il fait grand beau. La soleil, qui semble vraiment n’avoir rien à foutre, joue sur les rizières qui s’étalent sur des pentes vertigineuses. Elles ont, paraît-il, 600 ans d’âge et jusqu’à 1000 mètres de dénivelé.
Et puis les ennuis commencent. Je croise une petite vieille au panier, en costume bien tradi. C’est louche. Et ça n’y manque pas: elles vient me vendre des babioles. Je l’éconduis.
Les petites vieilles se succèdent. Mon amabilité, déjà glaciaire, décroît de l’une à l’autre jusqu’à asymptoter le zéro absolu. Même costume, même coiffure (longue natte ramenée sur la tête), même vocabulaire: « hello ! », « you go Dazhai? ». Ca réussit à me foutre en rogne.
C’est alors que j’arrive simultanément au village des menteurs et à l’acmé de mon ressentiment. De manière générale, la sagesse élémentaire veut que l’on se méfie des femmes. Mais dans ce coin, ne pas leur dire un mot ! Toutes, elles n’ont en tête que cette idée, de tondre, de traire, d’extorquer !
A Zhongliu, beau village de bois, je suis face à deux grand-mères et une mère de famille. Les premières veulent me servir de guide et me fourguer leurs babioles, l’autre veut me absolument de « donner » à manger. Et comme j’insiste pour demander le chemin, elles m’indiquent une voie manifestement fausse.
Je n’en fais qu’à ma tête et monte dans le village en pente raide. En haut, je croise un homme; il m’indique la direction de Dazhai.
En chatouillant le dragon
Je reprends ma route. Venant de la direction opposée, deux vieilles ont eu du succès: à elles deux, elles portent sur leurs balancières les sacs de quatre promeneurs. Ceux-ci suivent, essouflés, en sueur, échevelés. Ils me disent que Dazhai n’est pas loin, à une heure de là. Je marche depuis deux heures, en tout cela fera trois; au moins je ne manquerai pas mon vol, ce soir à Guilin !
Elles ont visiblement eu à coeur de conquérir chaque pousse carré du paysage !
Rizières éblouies…
Un jeune me dépasse, son portable en mode mp3 gueule une chanson de variété chinoise. Je le rattrape après manger (il a éteint sa musique…) et nous descendons ensemble sur Dazhai, où il rejoint un ami.
Dazhai est encore plus touristique que Ping’an. Les vieilles en costume abondent, les boutiques de souvenirs fleurissent.
Comme j’arrive au parking, un jeune couple d’Italiens me demande, l’air un peu perdu, s’il est nécessaire de prendre un guide pour rejoindre le village. Le chemin va tout droit, mais ça ne se voit pas d’ici. Evidemment que ces guides sont des voleurs.
Comme quoi le flot de devises étrangères peut faire toute la différence entre le merveilleux accueil que j’ai reçu à Chong’an ou Yangmen, et la hargne commerçante, avide, mensongère de Ping’an ou Dazhai. Dans un écrin sublime, mais bon… Navette pour Guilin.
Derniers mètres au Guangxi
Je suis sur le point de retourner à la civilisation. Cela se sent dans le trafic impossible. Je prends un taxi pour l’aéroport, et nous passons entre ces étonnants « pains de sucre » auxquels l’urbanisation vient se heurter avant de les circonscrire.
Leur verticalité miraculeuse n’est pas à sa place dans les faubourgs quelconques de Guilin, comme un accès de nature, comme une réaction épidermique de la Terre au fracas pollué des banlieues grises.
Je conclus ces lignes, et je m’envole pour le bercail. 辛苦了!