On est entrés par hasard.
J’ai compris notre erreur au bout de trois secondes environ. C’est le temps que prend mon cerveau pour faire le tour de l’assistance, ramolli par la triple conjonction d’enzymes gastriques en pic d’activité, de mollets en capilotade après les efforts de la veille et de méninges affolées par la menace de pluies acides chargées de cendres volcaniques.
Venant de la terrasse, on les voit immobiles et silencieux, en cercle derrière les baies vitrées comme de gros poissons morts flottant dans un aquarium. Pousser la porte, descendre deux marches grinçantes, tel le duc de Nevers (« nevermore! », s’écrie Poe) pour aller où l’on dansait.
A midi du cercle, un gros poisson chevelu siège et orchestre le sacrifice, déesse grecque encore fraîche du pinceau de l’artiste. Elle a pris les boucles rousses des femmes de Toulouse-Lautrec, sur sa joue gauche la mouche espiègle d’une belle de Renoir, sa taille bien grasse est saisie par Véronèse, et Courbet doit être à l’Origine de la convulsion de ses bras dodus.
Dans l’appenti pentu, les apprentis s’apprêtent. On entre, tout cesse, les regards se tournent et convergent, la déesse se fend d’un « welcooooooome ! » et nous voilà dans ses filets. Dio mio.
Elle est ravie qu’on soit là, elle est ravie que tout le monde soit là, elle est ravie que nous soyons sur le point d’écrire de la Poésie, des vers immortels qui survivront à la flétrissure du marbre.
D’ailleurs tout le monde a l’air ravi. Jetés au milieu d’un atelier de poésie, on a rejoint les alcooliques anonymes.
« Je crois que Robert voulait nous dire quelque chose aujourd’hui… Robert?
– Je voulais vous dire… A cause de l’alcool, j’ai perdu mes amis, j’ai eu de mauvaises fréquentations, ma femme m’a quitté, je croulais sous les dettes, j’ai même laissé mourir Bob, mon poisson rouge. Ma vie était un enfer, et je ne voyais pas le bout du tunnel. Et un jour, j’ai rencontré les GAGs [Gentils Alcoliques Grabataires, NdT] et ma vie a changé. Soudain, j’ai retrouvé le sourire. Je n’étais plus seul face à mes hantises, on était tous dans le même bateau. Alors j’ai jeté cette p… de bouteille, et ce p… d’alcool et tout et tout, et j’ai fais le ménage dans ma p… de vie, et j’ai balayé mes p… de mauvaises habitudes, et tout, et tout! Et maintenant, je suis un autre homme. Je me rend compte de tout le temps que je perdais, et de tout le fric que ça m’engloutissait. Maintenant, j’ai acheté un cochon-d’inde, qui s’appelle Bobby, et je fais des maquettes avec des cure-dents usagés, et je vais bientôt exposer mes maquettes à la foire régionale de Trouillis-en-Glottois. J’ai enfin trouvé un sens à ma vie. Et tout ça, c’est grâce aux GAGs ! Merci, merci, merci ! » Et Robert fond en larmes.
« On applaudit tous Robert! (Tous en coeur) Bravo, Robert ! »
Aujourd’hui, Robert fait de la poésie. L’odalisque dans son fauteuil coincée tenait en ses mains une feuille. « Savez-vous ce qu’est une métaphore? » La feuille de bananier, sans que soit jamais mentionné son usage canonique de camouflage en sculpture dans le style Antique, sera successivement comparée: à une langue pour la forme, à un miasme pour on ne sait quoi, à un blouson de cuir avec un Ange sur le dos pour le toucher, à une chair d’enfant pour l’odeur. A moins que ce ne soit l’inverse.
Des sommets en appelant d’autres, un souvenir confus fusa dans ma mémoire, deux vers presque inconnus, refrain inachevé, frais comme le hasard, moins écrit que rêvé:
« Le vent claque,
Les feuilles craquent,
Je les croque,
Cric ! Crac ! Croc ! »
On touche à l’Himalaya. Merci Tom-Tom et Nana.
Tel une feuille morte, je craque lorque la Grâce nous fait lire du Byron. Je sors et je vais acheter des livres. A vélo, les pluies acides me fouettent le visage.
Morale de l’histoire: abandonnez les basiques, ouvrez-vous à l’acide, laissez tomber vos parapluies, laissez pleuvoir les commentaires, aujourd’hui pas de censure, aujourd’hui c’est dimanche, et comme chaque week-end, vous êtes les bienvenus aux Dimanches de la Poésie Acide !
On ne fumait pas aussi un petit peu????