Déjà quatre mois de Chine. Bilan ? Beaucoup de blanc !
Ma Chine trois fois blanche.
Quand je débarque à Pékin, la neige la plus précoce depuis 40 ans recouvre la ville. La municipalité lance le chauffage deux semaines plus tôt que prévu. Cela ne me concerne pas : je n’ai pas de chauffage. Emerveillé, de longues heures de marche me font arpenter une ville nouvelle, transcendée par la blancheur : entre les blocs de HLM et les monuments en faux-vieux, le long des boulevards deux fois haussmanniens et des ruelles délabrées, la ville retrouve une unité qu’on n’attendait plus.
Je quitte la Chine pour Noël. Entre temps, les rues ont retrouvé leur belle couleur gris gadoue. A mon retour, la neige à nouveau couvre Pékin, et une armée de balayeurs s’affaire pour déblayer les rues (que font-ils le reste de l’année ?). Des semaines après les chutes de neige, la même armée décimée charrue des pelletées de terre glacée de place en place, selon une logique impénétrable aux œillères occidentales. Et quand cette neige a disparu, je vais la chercher plus loin.
Enfin, à mi-séjour, la nuit même qui suit le jour où j’emménage dans un Siheyuan rue du Manteau de Paille, la neige tombe une troisième fois. Je n’ai pas d’eau – canalisations gelées – mais j’ai de la neige.
La grande Chine trois fois blanche
Il y a la vieille Chine aux cheveux blanchis par ses cinq mille d’histoire. Chez chaque Pékinois, riche ou pauvre, instruit ou pas, la même fierté d’être chinois. Quand son vélo passe au pied de la Tour du Tambour, l’heure qui était battue du temps des Song l’est toujours pour lui; sur les rives du parc Beihai, les pierres sont les mêmes qu’ont foulées les Empereurs. Le temps importe peu, l’authenticité est une convention, un édit.
Il y a la Chine aussi qui découvre la culpabilité et se veut blanche des accusations que lance l’Occident. Nous ne savons que copier, jamais inventer ? Nous inondons les quatre mers de produits faits à bas coûts ? Nous négligeons l’avenir de la planète ? Ou tout simplement nous ne sommes pas les premiers, pas les meilleurs ? A charge pour l’avenir de l’innocenter.
Il y a la Chine enfin tout à écrire, la Chine comme une page blanche : à chaque Empereur tombé, le suivant récrit l’Histoire; à la Chine d’aujourd’hui de prendre la plume, ou plutôt le stylo à bille, faut pas rêver. Après une période d’éclipse, la Chine se sent renaître à une nouvelle prospérité, en marche vers le progrès. Lui sera-t-il facile d’assimiler les trois piliers de l’Occident: consommation, virtualité et sexualité épanouies ? Ou bien les efforts conjugués du clown Ronald Macdonald, de Johnny Halliday et de Toto à l’école l’en empêcheront-ils ? Question ouverte.
Ce soir
A la nuit tombée, la neige tombe, je tombe de fatigue. Sur l’immensité neigeuse du lac du Nord, un cygne blanc prend son envol.